Façonnage les yeux fermés

Publié le par jami

création Arlette Tournier-MaillardArlette Tournier-Maillard

 

     

Réédition d'un article d'Arlette Tournier-Maillard, paru dans ceramiquefacile  le 27-5-2006
et mal imprimé

Créer, tirer du néant, n'est pas chose facile. Chaque individu n'a pas les mêmes possibilités surtout quand un phénomène de blocage fait barrière à toute expression.

Il existe des exercices très prisés par Bernard Grassias (mon second maïtre sculpteur) qui permettent de se découvrir, de se révéler par le moi intérieur, vrai principe d'une naissance allant de l'obscurité à la lumière. Je vais essayer de vous faire partager ma première grande joie de "créativité".

Un soir, lasse de ne me réveiller qu'en partant de copie, je décide de me prêter à une expérience dite : les yeux fermés. J'obéis à Bernard, je prends la moitié d'un pain de terre rouge chamottée. Lumière éteinte, yeux fermés, je m'isole, m'efforçant de ne penser à rien tout en manipulant la glaise afin qu'elle devienne une boule parfaite, lisse, malléable à souhait, que je vais pouvoir plier à ma volonté. Il me faut la "posséder" pleinement.
Je rentre dans le jeu. Je pétris, je tapote, écrase, triture la matière qui s'assouplit sous mes doigts, je la sens docile, prête à tout. Elle s'arrondit mollement et elle est là, dans mes mains jointes, cette "sacrée" boule...J'appelle le maître et yeux ouverts, satisfaite, je découvre une sphère presque parfaite.

"C'est bon, c'est bon", me dit-il, "referme les yeux, isole toi, oublie tout, fais le vide, caresse-la doucement, il va se passer quelque chose, laisse faire tes doigts, ne pense à rien"
Sceptique mais docile. je caresse la boule lisse, tiède comme une chair vivante. Mes doigts pénètrent dans la glaise, creusent, pincent : forme curieuse au toucher !!!..
Je sens une transformation toujours yeux fermés, j'appelle le maître qui me dit : "continue, caresse, laisse faire tes doigts, ne réfléchis pas..."

Je continue donc, pénètrant dans les dédales des formes naissantes, tantôt affinant, tantôt lissant.Il se passe effectivement quelque chose. des formes nouvelles naissent sous mes doigts. j'essaie de deviner ce qui se réalise peu à peu, ne comprenant pas, je n'insiste pas. je laisse aller mes doigts, ils ont l'initiative, ils sont libres, je leur fais confiance.
Je caresse une dernière fois la matière, mes doigts s'arrêtent, satisfaits, jugeant sans doute d'eux mêmes qu'ils ont abouti à ce qu'ils voulaient.
J'ouvre les yeux, je regarde. Surprise, interloquée, je tourne autour de cette création baroque et un déclic se fait : je prends aussitôt un morceau de terre et m'empresse de créer les yeux ouverts; je façonne jabot, tête. J'accroche les deux pièces; alors, cest l'émerveillement, j'assiste à la naissance de mon oiseau. J'en appelle à témoins. Bernard et les amis de l'atelier accourent. C'est extraordinaire! formidable!!

La paix intérieure, la vie intérieure sont une grande richesse. Il faut prendre conscience de leur pouvoir. Nous devons connaître les profondeurs de nous-mêmes. Le silence nous y conduit et c'est la découverte d'une nouvelle beauté..
Depuis, j'ai créé d'autres oeuvres, yeux fermés ou yeux ouverts, les idées fusent de toute part. Seul, le temps fait défaut.

(Extrait d'un article paru dans "Esquisse Association Artistique et Culturelle C.E.N Saclau - septembre 1988 - N°22)

Expérience incroyable, inoubliable, essayez, c'est fantastique!


Arlette Tournier-Maillard
céramiste dans l'Yonne



 

 

 

 

 

 

 



Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article